Camille RUTTEN et Estelle VOLCANSEK
sont étudiantes dans le Master de spécialisation en Droit européen.
Le caractère inédit et multiforme de la crise du COVID-19 aura eu pour effet de mettre sous tension le droit de l’Union européenne dans de nombreux domaines. Néanmoins, l’un des secteur qui a sans conteste questionné le droit de l’Union fût celui des soins de santé et des différents moyens mis en place au niveau européen pour lutter contre la crise sanitaire.
Les apéros du droit du Centre de droit européen se sont ouverts le 10 décembre 2020 sur une webconférence présidée par Dr. Louise Fromont (ULB) durant laquelle une académique, Pr. honoraire Marianne Dony (ULB), et un praticien du droit, M. Olivier Louppe, avocat au barreau de Bruxelles spécialisé dans le domaine de la santé, ont mis en lumière les difficultés rencontrées lors de la crise sanitaire du COVID-19 et les réponses que l’Union pourrait y apporter. Ce billet de blog livre un compte-rendu de la conférence.
Le regard du praticien : les difficultés rencontrées sur le terrain
M. Louppe nous a exposé les principales difficultés inédites rencontrées par les hôpitaux belges.
Le premier défi rencontré par les hôpitaux belges concernait le mécanisme d’approvisionnement en masques. Le cœur de la problématique était de trouver des masques qui répondent aux normes européennes. D’une part, le Règlement 2016/425 harmonise au niveau européen les normes sur les équipements de protection individuelle et d’autre part, le Règlement 2017/745 en fait de même avec les dispositifs médicaux. Ce dédoublement de la réglementation débouche sur une situation complexe où les masques des soignants ne sont pas soumis aux mêmes règles et ne dépendent pas du même ministère que les équipements de protection individuels. Il est devenu difficile pour les acteurs hospitaliers d’identifier quels masques répondait aux normes européennes. Malgré des organismes de notification ou d’évaluation de la conformité, leur mise en pratique fut compliquée. Les services d’approvisionnement des hôpitaux se sont donc retrouvés face à une situation alambiquée où ils devaient apprécier la conformité du produit acheté mais aussi celle de l’organisme censé délivrer un certificat de conformité de ce produit.
Selon M. Louppe, il faut repenser ce système pour permettre aux hôpitaux de s’approvisionner correctement et leur assurer une meilleure sécurité juridique. Cela pourrait se faire par le biais d’un contrôle de l’Union où le produit serait vérifié par un organisme de certification européen qui apposerait sur celui-ci un code d’identification permettant aux opérateurs de vérifier rapidement la validité du certificat. Il y aurait une garantie européenne de l’authenticité du certificat qui ne reposerait plus sur le fabricant ou l’intermédiaire.
Il a également été difficile pour les hôpitaux de s’approvisionner en matériel médical (gants, combinaisons de protection, respirateurs…) et ils se sont retrouvés face à une pénurie qui n’a pas été suffisamment anticipée. Au niveau des laboratoires de biologie clinique, il y a aussi eu des ruptures d’approvisionnement de tests PCR car seules quelques entreprises spécialisées en Europe les produisent et il a été difficile d’assurer cette chaîne d’approvisionnement. La constitution de stocks stratégiques et une meilleure circulation entre laboratoires devraient être pris en considération.
Finalement, il faut repenser les instruments réglementaires existants en gardant à l’esprit leur utilisation par des acteurs économiques pas nécessairement outillés en moyens humains ou matériels. Cela améliorerait la libre circulation des produits et l’efficacité du marché, ce qui est primordial dans le domaine des soins de santé. Il faut veiller à ce que les dispositifs mis en place au niveau de l’Union européenne soient étendus afin de mieux accompagner les utilisateurs de ce type de réglementation en leur fournissant les instruments et les outils appropriés pour faire des choix de manière rapide et pertinente.
Le regard de l’académique : les compétences de l’Union en matière de santé
Suite aux problématiques concrètes évoquées par M. Louppe, la professeure Dony a exposé ce qu’a fait et ce que fait encore actuellement l’Union européenne face à la pandémie de COVID-19. Pour certains, l’UE ne fait rien et ne peut rien faire, alors que pour d’autres elle est à l’avant-poste de la crise et de la lutte contre la crise. Comme souvent, la vérité se situe entre ces deux sons de cloche.
Comme le rappelle utilement la professeure Dony, l’Union n’agit que dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans les traités. La protection et l’amélioration de la santé publique sont des domaines où elle dispose uniquement d’une compétence pour appuyer, coordonner ou compléter l’action des États membres.
Ce sont donc en principe ces derniers qui sont compétents, et ils sont invités à se coordonner en consultation avec la Commission qui peut prendre toute initiative utile à cette fin. Une exception indique que l’Union dispose néanmoins d’une compétence partagée pour les enjeux communs de sécurité en matière de santé publique. Elle peut adopter des réglementations d’harmonisation des législations ne concernant que 3 domaines : les normes en matière de sang et de dérivés du sang, les mesures dans le domaine vétérinaire et phytosanitaire, et les normes élevées de qualité et de sécurité des médicaments et des dispositifs à usage médical. Cette exception s’applique uniquement, précise l’art. 4 du TFUE, pour les aspects définis dans le présent traité. Ces principes sont mis en œuvre dans une disposition spécifique à la santé publique, l’art. 168 TFUE.
Enfin, l’Union peut adopter des mesures intéressant à la santé publique dans le cadre de ses autres compétences grâce à une disposition transversale indiquant qu’un niveau élevé de protection de la santé publique doit être assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques de l’Union.
Il n’y a donc pas besoin de modifier les compétences de l’Union, cela relève davantage d’une question de priorité et de savoir si les textes existants peuvent être modifiés ou leur mise en œuvre adaptée.
Mobilisation par l’Union de ses compétences dans le cadre du COVID-19
L’Union est loin d’être restée inactive et a pris une série d’initiatives et de mesures dans le cadre de la lutte contre la pandémie. Ainsi, le 7 janvier 2020, la Commission a activé un système d’alerte précoce et de réaction fondé sur l’art. 168 paragraphe 5 du TFUE. Ensuite, le Conseil a activé un dispositif intégré de l’Union pour une réaction au niveau politique dans les situations de crise (IPCR), qui contribue à une prise de décision rapide et coordonnée au niveau politique de l’UE en cas de crises majeures et complexes (comme en cas de COVID-19). Concernant les équipements de protection individuelle, la Commission a également pris des mesures pour faire face à cette pénurie. Au titre de ses compétences des marchés de l’Union douanière et du marché intérieur, elle a exigé que les exportations de ces équipements en dehors de l’Union soient soumises à une autorisation d’exportation et elle a exonéré des droits de TVA et des droits de douane les importations d’équipements médicaux et de protection ainsi que les kits de dépistage et de vaccins.
Le 13 mars 2020, la Commission a publié une Recommandation 2020/403 relative aux procédures d’évaluation de la conformité et de surveillance du marché dans le contexte de la menace que représente le COVID-19, sur base de l’art. 292 du TFUE. Le 19 mars, au titre du mécanisme de protection civile de l’Union, elle a créé une réserve stratégique de matériel médical et a activé un mécanisme permettant un accord de passation conjointe de marché relatif à des contre-mesures médicales. Ce mécanisme a été utilisé tout au long de l’année 2020 pour faire face à la crise du COVID-19. Il s’agit d’un outil qui vise à améliorer la préparation des États membres en vue d’atténuer les conséquences de menaces transfrontières graves sur la santé, en permettant un accès plus équitable à des contre-mesures médicales spécifiques et une grande sécurité d’approvisionnement ainsi que des prix plus équilibrés pour les États membres participants. Cela a notamment permis aux États membres qui le souhaitaient d’effectuer un achat commun coordonné par la Commission. Le 3 avril 2020, elle a publié des orientations pratiques pour soutenir la coopération transfrontalière en matière de soins de santé, et elle s’est déclarée à la disposition des États membres pour faciliter le traitement transfrontalier des patients et le déploiement du personnel. Il y a également eu un nouveau Règlement relatif aux dispositifs médicaux, ainsi que des orientations destinées à faciliter la libre circulation des travailleurs et des professionnels de la santé.
Concernant le vaccin, l’action de la Commission a adopté le 17 juin 2020 une stratégie commune et le Parlement européen et le Conseil ont adopté un règlement qui facilite la mise sur le marché de vaccins innovants. Un recours a d’ailleurs été introduit par les milieux anti-vaccins notamment, qui reprochent à ce règlement de ne pas considérer les questions environnementales et la précaution en matière de santé. Depuis le 19 octobre, la Commission a mis en service un système qui devrait permettre l’interconnexion et la compilation des données de transfrontières des applications de traçage. Enfin, la Commission a publié diverses communications en la matière.
Cependant, la Commission a reconnu que toutes ces mesures étaient insuffisantes et qu’il faut en adopter des nouvelles pour soutenir la coopération et la coordination entre les États membres. Elle a d’ailleurs proposé un nouveau programme d’action dans le domaine de la santé pour 2021-2027 financé par le fonds européen.
Conclusion et pistes de réflexion
La création de l’Union européenne de la santé ne s’accompagne pas d’un débat sur ses compétences en matière de santé. Or, le principal problème réside dans le fait que la Commission (ou parfois le Conseil) peut seulement formuler des recommandations (non contraignantes pour les 27). En dépit de celles-ci et des appels à la coordination, les États membres ne se sont pas mis d’accord sur les mesures sanitaires à prendre ni sur le rythme de mise en place. A cet égard, s’il y a insuffisance de coordination, il n’existe toujours pas la moindre possibilité pour l’Union de prendre elle-même des mesures de santé.
Jadis, pour les domaines de compétence où l’Union n’avait pas de compétence partagée, il existait la méthode ouverte de coordination (MOC) qui introduisait une espèce de contrôle par les pairs. Ne pourrait-on ici pas penser à l’introduction d’une forme de MOC, à l’image de ce qui se fait actuellement pour l’état de droit ?
Une seconde piste serait la révision des traités. En effet, les principales évolutions sont les conséquences de crises sanitaires graves. Dès lors, va-t-on uniquement se limiter à ces menaces transfrontières, à cette pandémie internationale, ou faut-il envisager une réforme plus large du domaine de la santé publique dans l’UE ?
En tout état de cause, en (re)pensant les instruments européens, il ne faut pas négliger le fait que leur mise en pratique et leur utilisation sont faites par des acteurs du terrain, qui ne sont pas nécessairement munis de moyens humains ou matériels suffisants et adaptés.
Références
Comment l’Union européenne a-t-elle mobilisé les compétences dont elle dispose depuis le début de la crise du COVID-19 :
- Décision d’exécution (UE) 2020/414 de la Commission du 19 mars 2020 modifiant la décision d’exécution (UE) 2019/570 en ce qui concerne les capacités de rescEU en matière de constitution d’un arsenal médical : création d’une réserve stratégique de matériel médical.
- Communication de la Commission du 3 avril 2020 : Lignes directrices relatives à l’aide d’urgence de l’Union européenne en matière de coopération transfrontière dans le domaine des soins de santé en liaison avec la crise de la COVID-19 (2020/C 111 I/01).
- Communication de la Commission du 15 avril 2020 : Lignes directrices relatives aux tests de diagnostic in vitro de la COVID-19 et à leurs performances.
- Communication du 17 juin 2020 de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil et à la Banque européenne d’investissement stratégie de l’Union européenne concernant les vaccins contre la COVID-19.
- Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’établissement d’un programme d’action de l’Union dans le domaine de la santé pour la période 2021-2027 et abrogeant le règlement (UE) n°282/2014 (Programme « UE pour la santé »), 25 mai 2020.
- Recommandation (UE) 2020/1743 de la Commission du 18 novembre 2020 relative à l’utilisation des tests rapides de détection d’antigènes pour le diagnostic de l’infection par le SARS-CoV-2.
- Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : Construire une Union européenne de la santé : renforcer la résilience de l’UE face aux menaces transfrontières pour la santé, le 11 novembre 2020.
- Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : Préparation des systèmes de santé de l’UE à réagir rapidement en cas de nouvelle flambée de COVID-19, 15 juillet 2020.