Luisa GAMBARO est étudiante du Master en études européennes et rédactrice dans la revue Eyes on Europe.
Les forces et limites du mode de vie européen
Intervention du Vice-Président de la Commission M. Schinas
Dans le cadre du cours « Union européenne et sociétés européennes » du professeur François Foret, le Vice-Président (VP) de la Commission européenne Margaritis Schinas a donné une conférence à l’ULB le jeudi 24 février pour expliquer aux étudiants le rôle de l’Union européenne (UE) dans la promotion du mode de vie européen. Selon le VP Schinas, ce sujet a été introduit par la présidente de la Commission Ursula Von der Leyen après les élections européennes de 2019, suite à l’allocution du Président français Emmanuel Macron à la Sorbonne en 2017 qui attribuait deux rôles principaux à l’UE : protéger et offrir des opportunités aux citoyens européens. Dans son intervention, le VP Schinas revient sur ces deux rôles clés de l’UE et expose les différentes politiques publiques mises en œuvre par l’UE pour incarner le mode de vie européen.
Le VP Schinas s’est présenté comme un défenseur de la méthode communautaire et un optimiste convaincu, pourtant soucieux de nombreux défis européens. A travers divers sujets d’actualité tels que la pandémie de covid 19 ou le conflit entre l’Ukraine et la Russie, il explique les deux rôles de l’UE pour promouvoir le mode de vie européen. D’une part, l’UE protège ses citoyens à partir de trois domaines d’action : la santé publique, la migration, et la sécurité interne. D’autre part, l’UE veut garantir plus d’opportunités pour ses citoyens en participant à leur éducation, en améliorant leurs compétences professionnelles et en garantissant leur accès à la culture.
La pandémie de covid 19 comme renforcement du mode de vie européen
En matière de santé publique, l’ampleur de la pandémie a rudement éprouvé l’UE, mais la faible compétence juridique européenne en la matière a aggravé cette situation. Le défi sanitaire impliquait de développer de nouvelles capacités juridiques pour sortir de cette impasse et lutter contre le virus. Selon le VP Schinas, la gestion de la pandémie par l’UE a été « un vrai miracle européen », trop peu mis en valeur pour l’opinion publique. Interpelé par un étudiant sur les réactions initialement protectionnistes des Etats Membres en Mars 2020, le VP Schinas reconnait cette courte période comme « une non-Europe ». Cette situation a été exacerbée par la diffusion de « fake news » et par le manque de connaissances vis-à-vis du virus. « Mais la construction européenne commence avec des faux pas » et les gouvernements ont compris que le marché intérieur et leur interdépendance économique nécessitaient une profonde coopération. Avec l’achat en commun de masques et de ventilateurs, une production coordonnée de vaccins et surtout la mise en place du Fonds de Relance, le VP en conclut que l’UE a prouvé son utilité aux Européens.
Quelle compatibilité entre la gestion des flux migratoires et le mode de vie européen ?
Le VP Schinas a ensuite abordé le sujet de la migration et de l’asile, en précisant que l’UE ne possède pas de politique commune pour gérer les flux migratoires sur son territoire, « ce constat étant d’autant plus douloureux face à la puissance économique de l’UE ». Pour le renvoi ou l’accueil des migrants, l’UE doit agir en tenant compte de la « mosaïque des différents régimes juridiques nationaux ». Un tel vide juridique ralentit la réaction de l’UE et mène à des situations tristement connues, comme celle des conditions de vie des migrants à Calais. Pour remédier à ce problème, un nouveau pacte européen est en cours de négociations entre les Etats Membres. Il contient trois objectifs principaux : renforcer la coopération avec les pays de départ et de transit, mettre en place une procédure commune et uniforme d’accueil, et venir en aide aux pays receveurs, géographiquement positionnés en première ligne. Concernant les négociations, le VP Schinas admet qu’elles ont été ralenties par la pandémie, mais que l’actuelle présidence française de l’UE pourrait redynamiser le processus. Concernant l’intégration des migrants, le VP confirme l’obligation de l’UE de les inclure en leur permettant d’accéder au marché du travail et d’être couverts par les systèmes d’éducation, d’habitation et de santé, réduisant les risques d’endoctrinement. Cependant, le VP souligne aussi l’engagement nécessaire des nouveaux habitants de respecter les valeurs européennes, notamment en acceptant le rôle des femmes dans les diverses sphères familiales et professionnelles et le statut des minorités religieuses.
En réponse à la question d’un étudiant concernant l’agence Frontex, le VP Schinas explique que le budget lié à son organisation sera grandement renforcé de sorte qu’elle devienne le garde-frontière européen. Tout en reconnaissant l’obligation de l’UE d’accueillir les réfugiés politiques, le VP définit le rôle de Frontex comme essentiel, spécialement dans une période de transition démographique pour le continent africain et un risque d’augmentation des flux migratoires. Selon lui, la promotion du mode de vie européen implique de protéger les citoyens de flux migratoires trop importants tout en fournissant une protection aux demandeurs d’asile et d’avantage de sécurité aux migrants dans leur parcours.
Le rôle de l’éducation pour incarner le mode de vie européen
Concernant la promotion du mode de vie européen à travers l’éducation, le Brexit a révélé une fenêtre d’opportunité pour l’UE qui peut désormais aspirer à devenir une destination mondialement reconnue pour les études universitaires. En concluant des accords avec des écoles partenaires, l’UE veut coordonner les différents programmes d’études pour créer un diplôme universitaire européen. Ce défi majeur est accompagné du programme Erasmus, dont les capacités budgétaires seront grandement renforcées. En réponse à la réaction d’une étudiante, le VP soulève néanmoins deux failles principales du programme Erasmus. Tout d’abord, sa mise en œuvre étant attribuée aux agences nationales, elles ne se concertent pas et adaptent le projet selon leur propre organisation. Ensuite, le programme s’avère moins accessible pour les étudiants avec un faible revenu ou situés dans des régions géographiques reculées. Pour garantir plus d’inclusion, le programme ALMA sera proposé par la Commission. Dans l’auditoire, plusieurs étudiants ont soulevé l’idée d’élargir le programme Erasmus à l’enseignement secondaire et au monde professionnel. Si quelques projets en ce sens sont déjà en place, la compétence éducative demeure nationale et de nouvelles mesures seraient assez coûteuses.
De nouvelles compétences professionnelles pour forger un mode de vie européen
Promouvoir le mode de vie européen implique également de développer les compétences professionnelles des Européens selon deux conditions : environnementale et technologique. En effet, l’UE amorce une double transition écologique et technologique, pour laquelle de nouvelles aptitudes sont nécessaires. La « révolution des compétences à venir dans l’UE » mettra sur le devant de la scène non pas des économistes, juristes ou politologues, mais des travailleurs en informatique et programmation, ou spécialistes de la construction verte ou encore de la cybersécurité.
Aujourd’hui, quel est l’impact du mode de vie européen sur nos quotidiens ?
L’essence du mode de vie européen reste encore à définir, lors de son intervention le VP Schinas a fait le choix de l’illustrer par des politiques publiques concrètes. Certains acteurs politiques européens tentent d’instrumentaliser le mode de vie européen comme un « bloc de pureté », excluant d’autres modes de vie. Selon le VP Schinas, le mode de vie de l’Europe peut, au contraire, être compris comme un miroir réfléchissant diverses identités régionales.
La finalité de ses propos était non pas d’idéaliser le mode de vie européen, mais de réaliser qu’il n’est pas acquis. L’obligation de le préserver est croissante, comme en attestent les récentes agressions russes en Ukraine. Le VP Schinas affirme que, face aux régimes autoritaires, le mode de vie européen sera défendu et que le système démocratique continuera de s’exporter : « l’Europe atteindra sa sécurité absolue quand la Russie deviendra une démocratie, et elle finira par le devenir. Les récentes hostilités en seront peut-être l’accélérateur. »