KelbelCamille Kelbel est assistante académique et doctorante à l’ULB. De 2012 à 2016, elle participe au Pôle d’Attraction Interuniversitaire PartiRep. Avant de rejoindre l’ULB, Camille Kelbel était assistante académique au Collège d’Europe à Bruges. 


Il est difficile voire impossible de parler du passé de l’Europe et des jalons du processus d’intégration européenne sans évoquer le rôle de la France. Bien que la France ne soit que l’un des artisans de la construction européenne telle que nous la connaissons aujourd’hui, son poids dans le récit politico-historique est sans commune mesure avec celui des autres Etats. Un déséquilibre que l’Union européenne a elle-même contribué à alimenter : si l’actualité récente nous a rappelé qu’Helmut Kohl était l’une des trois personnalités ayant reçu la distinction de ‘Citoyen d’Honneur de l’Europe’, les deux autres furent françaises – il s’agit de Jean Monnet et de Jacques Delors. Jacques Delors est d’ailleurs peut-être la personnalité qui incarne le mieux cette ‘France-Europe’, souvent présenté comme l’homme providentiel dans une perspective quelque peu décontextualisée. Si de grandes avancées de l’intégration ont certes été réalisées sous son impulsion en tant que Président de la Commission (et notamment l’Acte Unique et le Traité de Maastricht), le climat économique et politique plus favorable d’alors doit nous inviter à une certaine prudence à l’invocation du ‘mythe Delors’, surtout lorsque nous tenons d’établir des comparaisons avec les Présidents lui ayant succédé.

Le présent de l’Europe, lui, a presque oublié la France. Les nostalgiques de la puissance française tentent bien à coup de tribunes et d’interviews de donner à l’axe franco-allemand un pouvoir qu’il n’a plus. Dire que l’Allemagne décide seule n’est pas en adéquation avec l’idée du projet européen. Dire que l’Allemagne décide seule, surtout, n’est pas en adéquation avec une certaine idée de la France. Du fait de son déséquilibre, le tandem franco-allemand est en panne ; drôle d’idée que d’avoir voulu encore associer un sprinter ayant l’arrivée en ligne de mire et un grimpeur au pied de la montagne. Le tandem franco-allemand a déraillé? Qu’importe, il a pu alors être remplacé dans l’imaginaire journalistique et politique par le triangle de Weimar, le retour à l’Europe des Six ou le sursaut des pays d’Europe du Sud. Le point commun entre toutes ces configurations est de toujours faire la part belle à la France. Pourtant, au-delà de ces images, cette dernière décennie n’a pas vraiment porté le pays des Lumières sous les projecteurs. Les élargissements, la crise de la dette, le Brexit sonnent plutôt comme autant d’occasions manquées.

Que dire alors de la France et de l’avenir de l’Europe ? Un certain vent d’optimisme est indéniable, mais il sera certainement insuffisant pour faire passer l’orage. Une chose est sûre, pour les observateurs, le sort de la France en Europe (et donc, le sort de l’Europe) semble irrémédiablement lié à l’action du nouveau Président. De fait, le projet européen, en quête perpétuelle d’incarnation, s’est souvent tourné vers des grands hommes, a fortiori les chefs d’Etats français. C’était l’Europe de de Gaulle, puis celle de Pompidou. C’est peut-être cette idée tenace qui a tenu à porter Valéry Giscard d’Estaing à la tête des travaux de la Convention sur l’Avenir de l’Europe. Aujourd’hui, le flambeau est dans les mains d’Emmanuel Macron. Eclipse totale des autres acteurs de la scène politique, parlementaires européens, ministres, Commissaire. Il est tellement rare qu’un homme politique français de premier rang clame aussi haut et fort son attachement à l’Europe, que certains ont eu tendance à le croire sur parole. Pourtant, si la question européenne s’est retrouvée pour la première fois au cœur des débats d’une élection présidentielle française, et donc de sa propre campagne, c’est certainement au moins autant du fait de son adversaire du second tour que du sien.

Le programme du candidat Macron comportait bien, rappelons-le, une série de propositions, lesquelles si elles n’étaient pas franchement novatrices, avaient toutefois le mérite d’être reprises et expliquées dans un programme politique national. Parmi celles-ci : un budget de la zone euro adopté par un Parlement restreint, une restriction de l’accès aux marchés publics communautaires aux entreprises produisant au moins pour moitié sur le sol européen, une extension du programme Erasmus aux apprentis, une Europe de la défense avec un fonds dédié, un contrôle des investissements étrangers, un fonds de capital-risque voué à  financer le développement des start-ups européennes, un marché unique de l’énergie, ou encore un prix plancher du carbone. Parmi les scénarios proposés par la Commission européenne en mars dernier dans son Livre Blanc sur l’Avenir de l’Europe, la France semble donc s’orienter vers celui de l’approfondissement de l’intégration. Mais sans plus de précisions sur la méthode, il sera bien difficile de sortir du scénario ayant cours, celui du statu quo. Et de fait, ni ce programme, ni aucune des longues interventions ayant ponctué la compagne ou les débuts du nouveau Président français ne donnent de vraies indications sur le ‘comment’. Sont seulement proposées des conventions citoyennes, la fin des droits de veto, une main tendue à l’Allemagne. La question de la modification des traités est, elle, habilement éclipsée. Alors, comment relancer l’Europe ? Comment convaincre ses partenaires ? Pour son premier Conseil Européen, Macron en est surtout revenu à une méthode éprouvée, celle des petits pas. Il a dégagé deux des mesures de son programme. D’une part, l’Europe de la Défense, que la France avait enterrée toute seule il y a plus de septante ans et qu’elle a donc toute légitimité à relancer. Opération peu risquée en temps de tensions sur les finances publiques, de lutte contre le terrorisme et d’interrogations sur le partenariat otanien. Si force est de constater que proposer le transfert de compétences dans un tel domaine régalien est tout sauf une approche minimaliste, pour l’instant, seule a été validée la création d’un fonds européen pour la défense. D’autre part, le contrôle des investissements non-européens (et notamment chinois) dans l’industrie, qui malgré quelques soutiens, a été refusé par les 27. Un succès sur deux tentatives. A chacun de considérer le verre à moitié vide ou à moitié plein. Reste la portée symbolique de ces deux initiatives : elles font de la France l’étendard d’une Europe davantage protectrice. Sans forcément être davantage sociale.