Roberto DE PRIMIS est spécialiste des Etats-Unis, chercheur à la chaire Raoul-Dandurand à l’université du Québec à Montréal et professeur invité à la Sorbonne.
À quelques heures de sa prestation de serment, Donald Trump demeure une énigme sur la scène internationale. Les Chancelleries l’attendent. Tout comme les Présidents du Conseil, de la Commission et du Parlement européen qui, jusqu’ici, n’ont échangé que par télégramme avec le 45e Président américain.
Depuis plus de 20 ans, les Présidents américains ont adopté une attitude de moins en moins transatlantique et de plus en plus transpacifique ; Donald Trump ne semble pas infléchir cette tendance. Son regard pointe sans cesse vers Beijing en faisant une escale unique à Moscou. Au cours des 4 prochaines années, au minimum, seuls les États-Unis, la Chine et la Russie compteront sur la scène internationale.
À bien considérer les visites « présidentielles » effectuées à Bruxelles, de Reagan à Obama, toutes ont eu lieu en moyenne une fois par mandat et presque à l’unanimité dans le cadre de sommets de l’OTAN. À aucun moment, l’Union européenne en sa qualité d’entité politique n’a fait l’objet d’une visite.
Les relations transatlantiques ont toujours eu pour assise la défense (OTAN), le commerce international et, plus récemment, la lutte antiterroriste.
En matière de défense et de commerce mondial, tout porte à croire que de sérieuses divergences marqueront les années à venir. En ce qui concerne l’OTAN, durant la campagne électorale, Donald Trump a remis sérieusement en doute l’avenir de l’Alliance atlantique si les membres n’augmentaient pas les contributions à hauteur de 2% de leur PIB. Vu la période d’austérité économique au sein de l’Union européenne, on voit mal comment un rééquilibrage pourrait voir le jour. Au niveau du commerce international, les négociations de l’accord de partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement (TTIP) sont au point mort. Donald Trump, dans son approche protectionniste et son nationalisme économique « America first », avait clairement fait comprendre qu’il privilégierait les accords bilatéraux aux accords multilatéraux. Cette attitude, couplée aux réactions hostiles d’activistes et de groupes d’intérêt en Europe, laisse présager une mort imminente du TTIP, du moins, dans sa mouture actuelle.
L’histoire récente nous montre que, malgré les discours politiques de façade, les rives transatlantiques continuent de s’éloigner. Apprendre à travailler sur de nouvelles bases ; non pas celles du TTIP, mais celles qui pourront, d’une manière ou d’une autre, opérer des rapprochements. Ainsi, la lutte contre le terrorisme (en ce compris les « cyberwar ») pourrait s’avérer être le fer de lance d’une « nouvelle » collaboration transatlantique.
Durant la présidence Trump, les États-Unis pourraient demander de plus en plus d’aide des alliés. Dans ce sens, l’Union européenne et ses services de renseignements devraient avoir un rôle clé à jouer. Afin d’être pertinent dans cette approche, il serait bon d’implémenter certains points comme l’amélioration du dialogue intraeuropéen en matière de renseignement, la création d’un hub qui relie les services nationaux de renseignement et d’antiterrorisme, la définition claire d’objectifs communs…
L’Union européenne doit être révolutionnée afin qu’elle soit capable de faire face aux défis mondiaux. Quand les États-Unis se retirent de zones du globe, d’autres puissances, qu’elles soient globales ou régionales, entrent en jeu. Si l’Europe ne rassure pas et ne prend pas la place qui lui revient sur le plan politique, d’autres puissances le feront ; l’élection de deux Présidents pro-russes en Bulgarie et en Moldavie est peut-être un signal avant-coureur qu’il ne faut pas sous-estimer.
Il n’est donc pas étonnant qu’on entende à nouveau parler de défense européenne ces derniers mois. Les pays européens ont clairement compris qu’ils ne peuvent plus compter sur une protection sans limites des Américains. Voici pourquoi Paris et Berlin ont proposé aux autres États membres de l’UE d’accélérer le processus de Défense commune avec, entre autres, des investissements communs. Rien de formel à ce stade, mais un éveil nécessaire des capitales européennes (surtout à l’Est) face à leur destin. La confirmation viendra peut-être du plan d’action de Défense européenne présenté par Federica Mogherini, Haut Représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.
Le nouveau Président américain, pragmatique homme d’affaires, va devoir comprendre les bénéfices que pourrait lui apporter une coopération transatlantique renouvelée. Pour cela, l’Union doit, dès à présent, être cet acteur diplomatique fort qui a été à la base de l’accord sur le nucléaire iranien. Sans réelle influence de Bruxelles à très court terme, les grandes orientations de politique étrangère américaine deviendront difficiles à modifier en ce qui concerne, notamment, le Moyen-Orient, la Russie, la lutte contre le changement climatique et le commerce international. Rien ne nous laisse augurer une nouvelle impulsion de la part de Bruxelles puisque l’absence de leadership va perdurer jusqu’aux élections françaises et allemandes.
Au sein de la nouvelle administration à Washington, on parlera de l’Europe (géopolitiquement), mais très peu de l’Union européenne. Cette dernière va devoir sérieusement se renforcer sur le plan politique et de la défense afin de devenir, un jour, un réel acteur global incontournable. Si Bruxelles réussit sa mutation, l’arrivée de Donald Trump et son impact sur les relations transatlantiques pourraient être une chance pour l’Europe